Goma, le 12 février 2015 – «Je les ai rejoints car je n'avais rien d'autre à faire».
Trois anciens enfants soldats assis sur un banc face à leur ancien professeur, expliquent calmement pourquoi ils ont rejoint plusieurs groupes armés autour de leur village.
Pierre, Luc et Niye viennent d'un camp pour personnes déplacées (IDP) situé à Mweso, au Nord Kivu, en République Démocratique du Congo ( RDC). Sans travail et quasiment sans nourriture, dès l'âge de 8 ans certains jeunes quittent leurs familles à la recherche d'opportunités plus lucratives dans la brousse.
Le 12 février, à l'occasion de la Journée Internationale de la Main Rouge, la communauté internationale veut sensibiliser l'opinion publique aux souffrances des Enfants Soldats de par le monde. Le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) se félicite des mesures prises par le gouvernement congolais pour mettre un terme au recrutement des enfants soldats, mais il y a encore beaucoup à faire en matière d'alternatives éducatives et socioéconomiques pour les enfants vivant dans les camps pour personnes déplacées.
Le fait de rejoindre un groupe armé offre beaucoup plus de possibilités que la vie dans les camps. Les recruteurs promettent aux enfants un statut social supérieur, des repas et une carrière, mais ce n'est qu'un leurre. De nombreux enfants n'ont actuellement rien de tout ça. Les personnes déplacées au Congo n'ont pas de terre à cultiver et peu d'opportunités en matière de travail. La nourriture est rare, et peu de familles peuvent subvenir aux besoins de tous leurs enfants.
«Ces enfants ne vivent pas leur enfance comme nous», a expliqué Elettra Pauletto, une analyste politique pour la République Démocratique du Congo qui a travaillé un an auprès d'anciens enfants soldats dans le Nord Kivu. «Leur enfance n'a rien à voir avec un temps d'insouciance et d'innocence. Nombreux sont ceux qui passent de longues heures à travailler de leurs mains, transportant de lourdes charges pour aider leurs familles à se nourrir. Les groupes armés représentent une alternative à cet esclavage.»
Pour empêcher les enfants de rejoindre les groupes armés, il faut leur offrir des opportunités pour un avenir meilleur. Pierre, Luc et Ninye sont tous rentrés pour suivre une formation professionnelle dans leurs villages respectifs. Ils espèrent approfondir la charpenterie afin de pouvoir gagner un peu d'argent et aider leurs familles.
Sœur Espérance, Coordinatrice du JRS pour l'éducation à Masisi, précise: «L'éducation et la formation professionnelle font partie intégrante de la vie des camps, car elles aident les enfants déplacés à se fondre dans les communautés d'accueil, et elles leur font prendre conscience qu'il y a d'autres moyens de gagner de l'argent, et d'autres façons de vivre.»
L'éducation, la formation professionnelle, et même les activités extrascolaires, aident à briser la monotonie de la vie dans les camps. Elles créent un espace où les communautés d'accueil et les personnes déplacées peuvent faire tomber les barrières sociales et promouvoir la compréhension.
Ceci dit de nombreux défis restent à relever. «Le JRS paie la moitié des frais de scolarité, mais de nombreux enfants ne peuvent pas payer l'autre partie. Sachant que les enfants qui vont à l'école ne peuvent pas chercher de la nourriture pour leurs familles. C'est un choix terrible», a déclaré Sœur Espérance. «Lorsque les enfants quittent l'école, je les visite personnellement. J'explique à leurs parents l'importance d'aller à l'école. Je leur dis ce qu'ils pourront faire grâce à l'éducation.»
L'éducation n'est pas la panacée. Les enfants vivant dans les camps pour personnes déplacées sont toujours confrontés à des défis majeurs, dont l'économie inexistante, la discrimination de la part des communautés d'accueil, et la violence cyclique. Et pourtant, la formation professionnelle, l'alphabétisation, et la rencontre entre enfants appartenant à des ethnies différentes représentent la première étape de la construction de communautés plus fortes capables de contrecarrer les propositions faites par les groupes armés.
Caitlin Hannahan, Responsable de la communication, Service Jésuite des Réfugiés Grands Lacs Afrique