posted on FEBRUARY 12, 2015 by PASCAL VILLENEUVE
A l’occasion de la Journée Internationale de lutte contre l’utilisation des enfants soldats, Pascal Villeneuve, le nouveau représentant de l’UNICEF en RDC, partage son regard sur cette problématique bien particulière.
Mon arrivée à Goma ce lundi 9 février a fait remonter en moi des réminiscences qui datent d’il y a 21 ans. Je travaillais dans cette ville en 1994 quand nous avons tout d’un coup été surpris par le flux d’un million de refugiés rwandais fuyant les atrocités qui allaient être connues plus tard comme ‘le génocide rwandais’. Une partie de la ville que j’ai traversée en venant de l’aéroport, a changé; elle a été reconstruite après l’éruption volcanique de 2002 qui l’avait ravagée. Mais l’autre partie est restée presque intacte, et j’ai reconnu facilement le trajet que je faisais de l’Hôtel Karibu au bureau de l’UNICEF. C’est la route que j’ai prise pour me rendre au Gouvernorat.
Ma rencontre avec le Vice-Gouverneur du Nord Kivu, Maître Lutaichirwa Feller, a été très intéressante. Nous avons discuté des acquis dont le Nord Kivu peut se targuer, notamment la réduction de la mortalité infantile telle que l’a révélée la dernière Enquête Démographique et de Santé (EDS II) mais aussi des défis qui prévalent et qui continuent d’entamer les droits des enfants.
Ils continuent d’être recrutés par les groupes armés, et ils continuent de subir les affres des conflits qui se sont succédé dans la province. Le Vice-Gouverneur a relevé des cas de kidnappings d’enfants et de tueries de femmes et d’enfants qui continuent pour la plupart dans le territoire de Beni, mais n’a pas manqué de louer le partenariat exemplaire que le Gouvernement provincial entretient avec l’UNICEF.
Rutshru, un territoire qui revit
Le 10 février, je me suis rendu à Rutshuru, plus de 80 kilomètres au nord de Goma. Mes collègues de l’Est m’ont raconté que le territoire de Rutshuru a vécu sous le joug du groupe rebelle Mouvement du 23 mars (M23) pendant un an et demi avant d’être libéré fin 2013 par l’armée congolaise FARDC avec l’appui de la MONUSCO. Un an plus tard, les activités économiques ont repris de plus belle, et sur le chemin qui m’y mène, j’ai rencontré des camions remplis de produits agricoles ou manufacturés en direction de Goma.
Ma première étape a été le bureau de l’Administrateur du Territoire ou j’ai été accueilli par son adjointe, Mme Liberata Buratwa. Nous avons évoqué la situation des enfants dans le territoire, de même que les efforts consentis par le Gouvernement et ses partenaires pour l’améliorer.
Mme Buratwa a loué l’appui de l’UNICEF pour l’acquisition d’ambulances destinées aux hôpitaux de référence du territoire, dans le cadre du projet d’équipement des structures sanitaires (PESS). Le matériel a été financé sur fonds propres du gouvernement de la République Démocratique du Congo, alors que l’UNICEF s’est chargé de l’achat et de l’acheminement du matériel jusqu’à destination.
J’ai visité le centre de jour de UPDECO, un partenaire de l’UNICEF dans la réinsertion des enfants ayant été associés aux forces et groupes armés. De juillet 2012 à octobre 2014, UPDECO a documenté et certifié 846 enfants associés aux forces et groupes armés, dont 232 filles. En 2014, UPDECO a assisté 356 enfants, ce qui représente 11% du nombre d’enfants assistés, en transit à travers la province.
Pour atteindre ces résultats, UPDECO a une équipe de vérificateurs expérimentés ainsi qu’un réseau de 35 familles d’accueil offrant des soins intermédiaires aux enfants. L’organisation offre également une formation sur les droits de l’enfant aux autorités militaires et civiles. Jusqu’à présent, 250 agents, dont 150 FARDC, ont été formés sur les droits de l’enfant, la protection et la résolution 1612. Famille d’accueil, une approche réussie
Aujourd’hui, de nombreux enfants sortent à nouveau depuis les opérations militaires lancées contre les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR). Les enfants qui sortent des groupes armés, sont placés dans des familles d’accueil. Ils passent la journée au centre de jour où ils renouent avec leur enfance en jouant et en échangeant avec les enfants de leur âge.
La famille d’accueil que j’ai visitée, assez rompue à la tâche pour avoir accueilli 21 enfants depuis 2012, m’a permis de comprendre les difficultés mais surtout les avantages d’une telle approche. Cette étape prépare l’enfant au retour dans sa famille, dans sa communauté. La famille qui est choisie par la Division Sociale (DIVAS) doit être vertueuse et modèle, pouvant aider l’enfant à reconstruire sa vie après avoir perdu son enfance.
La réinsertion dans la communauté est parfois accompagnée d’une intégration économique selon le bon-vouloir de l’enfant. A Rutshuru, des enfants qui étaient en transit avec UPDECO à leur sortie des groupes armées, ont développé des activités génératrices de revenus dans des créneaux aussi porteurs que la coiffure, la menuiserie, la mécanique, la réparation de portables, etc. Les enfants que j’ai rencontrés parviennent à faire des bénéfices, et certains d’entre eux encadrent d’autres enfants nouvellement sortis des forces et groupes armés, gage d’une réinsertion réussie.
Les enfants continuent de payer un lourd tribut aux conflits armés
En matière de Désarmement, Démobilisation, et Réinsertion (DDR), l’UNICEF et ses partenaires utilisent l’approche ‘Centre de transit et d’Orientation (CTO), et c’est l’exemple du centre CAJED que j’ai visité le 11 février à Goma. De 2012 à fin 2014, le CAJED a assuré la prise en charge de 1 653 enfants sortis des forces et groups armés.
L’organisation a réunifié 627 enfants avec leur famille en 2014. Plus de 91 enfants sortis de différents groupes armés y sont accueillis actuellement et ils prennent part à des activités créatives et récréatives pour se reconstruire. Aujourd’hui, ils y ajoutent l’activité sportive et ludique de la capoeira. L’art martial brésilien aide les enfants à forger un respect mutuel.
A la capoeira, même s’il y a deux personnes qui s’affrontent, il n’y a ni gagnant, ni perdant. Car, au moment d’arriver au milieu de la ronde pour s’affronter, les deux personnes se tiennent les mains, et après la danse de la capoeira, ils se saluent en s’attirant l’un contre l’autre et se prenant dans les bras: une preuve de respect mutuel et d’affection.
Comme nous étions à la veille de la journée internationale de la lutte contre le recrutement des enfants, j’ai réitéré devant la presse que la place de l’enfant n’est pas dans l’armée mais à la maison et à l’école; et que le recrutement d’enfants dans les forces et groupes armés est un crime puni par la loi congolaise et la loi internationale, de même que la Résolution 1612 du conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies.
Aujourd’hui, d’importants efforts ont été faits par l’armée congolaise FARDC qui compte peu d’enfants dans ses rangs. Les enfants qui sont encore au sein des groupes armés sont estimés à un millier. J’en appelle aux groupes armés de libérer les enfants afin de leur permettre de commencer ou de continuer leur éducation afin de bâtir un avenir radieux pour la nation.
Pascal Villeneuve, représentant de l’UNICEF en RDC, appelle les groupes et forces armés à relâcher les enfants: